Plus sérieusement, laissez-moi vous dire que je suis ravie que ce soit la première critique postée sur Bobbie in the Sky Génération 2.0 parce que j'ai vu le film le lendemain de la dernière épreuve du concours, et qu'il a en partie motivé mes choix d'avenir proche (à savoir que je veux étudier le cinoche, non pas retenter Normale Sup', de toute façon vu le fiasco que ça été cette année, je ne pense pas que ce soit l'idée du siècle de khûber).
Mais passons aux choses sérieuses...
Alors Taxi Téhéran c'est le nouveau long-métrage de cet infatigable arpenteur du cinéma iranien qu'est Jafar Panahi. Ours d'or à la Berlinale (et oui c'est pas rien quand même), le réalisateur s'improvise chauffeur de taxi et filme le Téhéran d'aujourd'hui de son siège de conducteur. Ce qu'il faut savoir c'est que seul le premier film de Panahi a été diffusé en Iran puisque le gouvernement islamique voit plutôt d'un mauvais oeil ce réalisateur aux idées progressistes. En 2009, après un projet avorté de docu-fiction sur les manifestations de colère de la population contre la réelection du président M. Ahmadinejad, Jafar Panahi a été arrêté par les autorités iraniennes, accusé de complot contre le régime. Sous la pression des organismes occidentaux, il a finalement été relâché mais est depuis interdit de quitter le territoire iranien et de réaliser des films. Mais Panahi est rusé et a depuis sorti trois long-métrages qui parviennent clandestinement dans les festivals internationaux (en 2011 Ceci n'est pas un film, en 2013 Pardé et en 2015 Taxi Téhéran).
J'ai découvert Jafar Panahi en 2007 avec le formidable Hors Jeu, chronique débordante de vitalité qui suit des adolescentes iraniennes passionnées de football qui cherchent à rentrer dans un stade. Pour être honnête, je n'avais pas vraiment fait le rapprochement lorsque j'ai vu Taxi Téhéran et j'ai revu Hors Jeu avant de faire cet article (d'ailleurs le film pourra faire l'objet d'un autre article parce que je le trouve très intéressant à différents niveaux) ce qui m'a permis de voir toute la richesse de ce cinéaste que je vous engage très fortement à découvrir.
Mais parlons de Taxi Téhéran, puisque c'est le sujet de ce premier article. Le plan qui ouvre le film est audacieux : la caméra posée sur le tableau de bord filme le Téhéran vivant, les scooters, les piétons, la vie à l'extérieur. Tout au long du film vont se succéder à l'intérieur des personnages haut en couleurs, filmés avec tendresse par ces petites caméras dissimulées autour de ce chauffeur de taxi pas très ordinaire. Vrais personnages? Faux acteurs? Le film ne nous le dit pas et c'est tant mieux car il est entouré d'un mystère indéchiffrable dont la clé se trouve dans le regard sombre de son réalisateur. On va parler politique, actualité, cinéma mais surtout liberté. Bénéficiant d'un scénario à l'écriture espiègle et particulièrement intelligente, ce long-métrage d'1 heure 22 minutes passe vite, trop vite; si bien qu'à la fin on en redemanderait encore. C'est que ce récit, en apparence plutôt banal, et pollinisé par une sorte de méta-discours tout à fait intéressant sur le cinéma. Pourquoi faire un film? Qu'est-ce qu'un film "diffusable"? Cette réflexion est menée d'une main de maître par la jeune nièce du réalisateur, aussi bluffante qu'attachante qui incarne bien cette soif inépuisable de liberté. En creux, c'est la pertinence de l'interdiction de filmer de Panahi qui est interrogée : "pourquoi est-ce que je ne peux pas diffuser un film où un garçon vole de l'argent puisque c'est ce qui s'est passé?", demande-t-elle en creux. Un débat ouvert entre l'image que les autorités renvoient de l'Iran, et l'Iran d'aujourd'hui. Mais il ne faut pas s'y perdre, Taxi Téhéran n'a rien du grand film politique aux revendications enflammées. Son réalisateur ne quitte jamais le siège de l'observateur qui ne juge pas. Le sourire imprimé sur les lèvres, il se promène dans le quotidien de Téhéran et s'amuse de cette ville cosmopolite qui regorge de surprises. Et c'est sans doute là que se situe la plus belle leçon que le cinéaste a à nous donner. A peu près à moitié de parcours, le faux chauffeur quitte le véhicule et lance des regards inquiets. Quelques minutes plus tard, il révèle à l'avocate Nasrin Sotoudeh, "la dame aux fleurs", avoir entendu la voix de l'homme qui le "cuisinait" en prison, le sourire toujours haut et les yeux pleins d'amertume, seule arme de résistance contre ceux qui voudraient le faire taire. Le sourire et le cinéma comme nouveau langage, Panahi réalise donc un film majeur qu'il faut avoir vu pour goûter à la liberté.
Pour conclure, Taxi Téhéran a-t-il volé son ours d'or? Si vous lisez l'article de Studio Ciné Live de ce mois-ci vous verrez que le film n'est pas à l'abri de certaines polémiques qui voudraient que le film ait été récompensé dans un geste diplomatique, faisant de Panahi le martyr de la culture iranienne. N'ayant pas vu tous les films de la sélection, je ne peux pas vraiment m'exprimer sur le sujet; mais ce qui est sûr c'est que Taxi Téhéran est vraiment un film important. Je rejoins l'avis des journalistes de Studio pour dire que c'est du vrai cinéma. Vrai film, avec un vrai montage (le cinéaste explique dans sa note d'intention que le montage a été effectué clandestinement aux quatre coins de la ville), un vrai scénario, de vrais effets techniques. L'image est belle, le cadrage parfois maladroit est plein de charme (Jafar Panahi a dû s'improviser technicien puisqu'il devait gérer le cadre, le son, les acteurs et son propre rôle), le tout est d'une finesse qui peut rendre envieux la plupart de nos réalisateurs occidentaux. Une leçon de liberté qui élève Panahi au panthéon des plus grands.