Mustang est le nom de ces chevaux que nul ne peut maîtriser. Je trouve d'ailleurs révélateur a posteriori que le titre du film soit au singulier, et non au pluriel, comme on aurait pu le supposer au départ. Mustang est le portrait de cette fougue propre aux êtres indomptables.
Véritable sensation de la quinzaine des réalisateurs 2015, Mustang est avant tout un film de filles : cinq héroïnes se partagent l'affiche. Lale et ses quatre soeurs sont turques, belles et indépendantes. Le dernier jour de l'année scolaire, elles s'amusent avec des garçons sur le chemin du retour. Mais ce petit jeu va alors prendre des proportions inattendues: outrés par un comportement qu'ils jugent indécent, les membres de la famille vont prendre des sanctions à l'égard de ces cinq rebelles. La maison se transforme peu à peu en prison pour jeunes filles à marier.
Mustang pose en premier lieu la question de la femme et de la fille en Turquie. Sans trop rentrer dans les détails, il faut quand même souligner qu'il s'agit d'un pays historiquement progressiste en matière de droits des femmes : dès les années 30 elles obtiennent le droit de vote, l'IVG y est autorisée jusqu'à la dixième semaine de grossesse. Mais depuis l'arrivée au pouvoir du parti de Recep Tayyip Erdoğan, on constate un retour en force du patriarcat lié à des mesures gouvernementales. La réalisatrice souligne à ce titre le retour des écoles religieuses pour mieux "encadrer" la société et mettre fin à une trop grande liberté intellectuelle de la population. Finalement la femme est tiraillée entre deux extrêmes : sur le papier elle a des droits, est libre et émancipée, mais au sein même de la société elle reste soumise au masculin. C'est d'autant plus intéressant que la Turquie est finalement un pays dont on parle assez peu et qui est plus ou moins absent du paysage cinématographique. On se souvient de l'excellent Wajda dans le même genre, qui posait la question de la féminité en Arabie Saoudite, ou encore de Hors-Jeu de Jafar Panahi sur l'écrasement de la jeune fille en Iran. D'ailleurs cet état de fait est l'un des premiers arguments présentés par les pays d'Europe de l'ouest pour s'opposer à l'entrée du pays dans l'UE, quoi que le gouvernement voudrait nous faire croire qu'il n'en est rien. Dans une inteview pour Les Inrocks, Deniz Gamze Ergüven déclarait d'ailleurs "Je voulais raconter ce que cela représente d’être une femme aujourd’hui en Turquie, dit la réalisatrice. Le pays a toujours été partagé entre deux courants, l’un progressiste, l’autre rétrograde, mais depuis quelques années le second s’impose. Chaque semaine, des types de l’AKP font des déclarations odieuses sur les femmes, qui contribuent à polluer les esprits. Ils nous obligent à nous cacher, à nous taire, à avoir honte." On peut donc parler à propos de Mustang d'une certaine urgence de cinéma; une envie de dire au monde quelque chose. Très vite, le film va se concentrer sur la maison et sa transformation progressive. Les filles ne verront bientôt plus le monde du dehors autrement qu'à travers les barreaux de leur prison. Il y a l'idée que l'enfermement de ces jeunes filles a quelque chose de contre-nature (au sens d'aller à l'encontre de l'ordre normal des choses) comme le montre leurs tentatives parfois désespérées de s'échapper. Pourtant, il n'y a parmi elles qu'un seul véritable Mustang : Lale, la petite dernière qui luttera jusqu'au bout pour sa liberté.
Il y a chez Deniz Gamze Ergüven un sens du cadre qui frise la perfection : jamais un centimètre à côté, la caméra est toujours à sa place. Beaucoup de plans serrés nous font entrer dans l'intimité de cette bande de filles au caractère bien trempé, qui ressemble à bien des égards à celle que Sofia Coppola avait mis en scène dans The Virgin Suicides. Misant sur la légèreté, Mustang n'est pas à proprement parler un drame puisqu'on y trouve à plusieurs reprises des scènes de comédie, comme ce moment assez croustillant où les filles se rendent à un match de football. Il faut aussi parler de cette luminosité toute particulière qui éclaire le film, dans des tons doux-amer. Deniz Gamze Ergüven magnifie la femme, même lorsqu'elle se soumet. Et il y a surtout Günes Nezihe Sensoy qui interprète la jeune Lale et qui porte véritablement le film, du haut de ses 1 mètre 50. Rebelle, insaisissable, fougueuse mais surtout indomptable.
Là où le bât blesse un peu, c'est qu'emportée par ses désirs et ses espoirs, la réalisatrice finit par perdre de vue le point de vue réaliste auquel elle s'était si bien tenue au début du film. Le dernier quart d'heure est rocambolesque, on se croirait presque dans un film d'aventures où le héros s'en sort toujours. Il aurait peut-être mieux fallu terminer sur une note d'espoir plus mitigée, plutôt que sur cet élan d'héroïsme un peu bancal auquel on ne croit sans grande conviction.
Mais on ne saurait trop s'acharner sur Mustang tant on a envie d'y croire. Une nouvelle preuve que le cinéma n'est pas qu'une affaire d'hommes et j'espère que l'on reverra le nom Deniz Gamze Ergüven à l'avenir !
Là où le bât blesse un peu, c'est qu'emportée par ses désirs et ses espoirs, la réalisatrice finit par perdre de vue le point de vue réaliste auquel elle s'était si bien tenue au début du film. Le dernier quart d'heure est rocambolesque, on se croirait presque dans un film d'aventures où le héros s'en sort toujours. Il aurait peut-être mieux fallu terminer sur une note d'espoir plus mitigée, plutôt que sur cet élan d'héroïsme un peu bancal auquel on ne croit sans grande conviction.
Mais on ne saurait trop s'acharner sur Mustang tant on a envie d'y croire. Une nouvelle preuve que le cinéma n'est pas qu'une affaire d'hommes et j'espère que l'on reverra le nom Deniz Gamze Ergüven à l'avenir !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire