jeudi 25 juin 2015

La tête haute - Emmanuelle Bercot

Quand les bons sentiments sont de mise




(le dernier paragraphe de cet article dévoile quelques éléments de l'intrigue)

Emmanuelle Bercot, c'est la tendance du moment. Belle, indépendante, femme, actrice, réalisatrice, réalisactrice du cinéma d'aujourd'hui comme probablement du cinéma de demain; sa présence en ouverture du festival de Cannes ne fait que confirmer une certaine notoriété et reconnaissance dans ce milieu éminemment masculin. Madame Emmanuelle Bercot. Pourtant Emmanuelle Bercot ce n'est pas un cinéma strictement féminin. Elle a su comme sa comparse Maïwenn porter un regard sur le monde. Un regard différent parce qu'elles n'oublient pas qu'elles sont femmes qui ne déclare pas la guerre au monde masculin, qui s'y confronte, qui cherche à s'imposer délicatement, avec subtilité. C'est peut-être ça être féministe en 2015. 

Emmanuelle Bercot a donc plus que jamais la tête haute et le regard fier. Mise à l'honneur à deux reprises à Cannes lors de la cérémonie d'ouverture puis sacrée lors de la clôture, elle est indéniablement devenue une des Françaises du moment. La Tête haute avait d'ailleurs tout pour être un succès (c'est-à-dire sortir du catimini des films art & essai français traditionnel) : beau casting, scénario intriguant, belle réalisation, publicité de Cannes etc. Ce que j'aime chez Emmanuelle Bercot c'est quelle est une artiste. Le film est bourré de panoramiques très audacieux que j'ai rarement vu au cinéma et que je trouve aussi vertigineux que magnifiques. Et puis il y a la musique. A contre-courant, discrète, étrange, puissante, elle ne tombe pas dans le cliché de la musique de banlieue pour parler des jeunes des banlieues. J'ai presque envie de dire qu'elle donne une universalité à ce film, et à ces personnages; comme une manière de dire que la déroute de Malony c'est un peu la déroute de nous tous, citoyens du 21e siècle perdus entre les billets de banque, la violence, la mort. Parce que La Tête haute, c'est avant l'histoire d'une jeunesse : celle de Malony qui fait les 400 coups parce qu'on ne lui a pas appris comment vivre. Mal aimé par une mère encore adolescente, pas tout à fait mère, Malony cherche ce que c'est que la vie; ce que c'est que l'amour aussi, sans être bien sûr de pouvoir accepter d'être aimé. S'il y a une actrice qui tire bien son épingle du jeu c'est sans doute Sara Forestier, sublime, perdue, touchante, excessive. Mais La Tête haute c'est surtout Catherine Deneuve si autoritaire derrière son bureau de juge. Une cinéaste femme pour un cinéma de femme. Non pas un cinéma féministe, mais un film qui magnifie le sexe féminin, sa virilité comme sa féminité, sa beauté aussi, mais surtout sa force de caractère, la façon si singulière qu'elles ont toutes d'êtres des êtres humains. Parce que c'est peut-être ça finalement le thème du cinéma d'Emmanuelle Bercot : les êtres humains. Et par moment c'est presque aussi vertigineux que les panoramiques filés qu'elles s'amusent à faire tourner autour de Malony. Mais indéniablement c'est aussi beau que les violons qui accompagnent souvent le personnage principal, aussi beau que les écorchés vifs, aussi beau que la vie.

Alors pourquoi le film est-il malgré tout si décevant? Le problème d'Emmanuelle Bercot (et de Marcia Romano, sa scénariste) c'est qu'elle(s) croi(en)t en la vie. Je crois aussi beaucoup en la vie. Mais je ne me paie pas le luxe d'être idéaliste. Je ne me permets pas d'être aveuglée par un optimisme qui ne serait pas de rigueur. Il y a un moment où le film nous perd, se met à tourner sur lui-même jusqu'à décoller et quitter la terre ferme pour s'enfoncer dans une réflexion simpliste. Malony, le voyou aux yeux bleus va être sauvé par la grande juge, incarnation presque sans faille de notre belle république. Comme si ce n'était pas assez, on appuie le propos en terminant le film par un plan sur un drapeau républicain flottant au-dessus d'un tribunal. On se croirait presque dans un film de propagande des années 40/50. Je me suis longtemps demandé si la fin était vraiment positive : le héros, qui n'a même pas 20 ans, est père d'un enfant, la mère n'ayant elle non plus même pas 20 ans. Ils n'ont pas de travail, ils n'ont pas fini leurs études et leur seul soutien est la mère de la mère, seule adulte responsable dans les parages. Alors non, ça ne finit pas vraiment bien parce que la rédemption sera lourde de conséquence. Malony n'est pas "sauvé" par la République, il est sauvé par la vie lui donnant l'occasion de dépenser son énergie sur un autre être. Soit, pourquoi pas. Je n'y crois pas mais pourquoi pas. Cependant, comment expliquer qu'un peu plus tôt, alors que le jeune homme a précipité son petit frère dans un terrible accident de voiture (la voiture s'est retournée sur elle-même à plusieurs reprises), n'étant pas attachés tous les deux, ils s'en sortent indemnes? Un miracle, je ne vois pas d'autre explication. Enfin n'oublions pas que Malony a été sauvé par un éducateur d'exception (Benoît Magimel), lui-même ex-délinquant sorti des ténèbres par la juge-sainte-Catherine-Deneuve. Un peu plus de guimauve et le scénario aurait été parfait pour un épisode de Famille d'accueil. C'est dommage parce qu'il y a des enjeux dans toute cette histoire, des pistes sur lesquelles le scénario nous entraîne en les laissant finalement sur le bord de la route. La question de la place de l'enfant dans le justice française par exemple : est-ce que le système est parfait? Oui, Malony a trouvé juge à son pied, mais non cette femme d'exception part à la retraite. Il est lui-même confronté avec d'autres jeunes aux suivis moins personnalisés : que conclure? Que les autres juges ne font pas leur travail? Que le système ne leur permet pas de le faire? C'est assez confus. Trop confus. A l'issue du film, la réalisatrice a annoncé son désir de devenir à son tour juge pour enfant. On se demande si ce désir de changer les choses n'a pas trop empiété sur la volonté d'être proche de la réalité. Est-ce que l'espoir n'a pas indirectement perverti le portrait de la société? Ce film qui avait tout d'un portrait social d'une jeunesse se termine finalement comme une sorte de mélo qui force les émotions. Et c'est décevant.

La qualité et la sensibilité de la réalisation m'empêchent de trop faire descendre la note c'est pourquoi je lui donne 3/5

   

mercredi 24 juin 2015

Vite fait, bien fait #2 Le monde de Nathan (X+Y)


Qui c'est quoi, comment, où?

Petit film britannique comme on les aime, produit par la BBC (donc forcément ça ne peut pas être complètement mauvais)
La réalisation est signée Morgan Matthews, réalisateur de documentaires pendant plus de 10 ans, quasi ignoré en France. 
On y retrouve le génial Asa Butterfield (Hugo Cabret, Le garçon au pyjama rayé...) qui a bien grandit et ça lui va comme un gant, ainsi que Sally Hawkins (Blue Jasmine, Never let me go...), Eddie Marsan (Une belle fin, Sherlock Holmes...) et Rafe Spall (Un jour, Anonymous, L'Odyssée de Pi...).
Sortie le 10 juin 2015. 


Le pitch

Nathan présente dès son plus jeune âge des troubles autistiques qui le replie sur lui-même. Obsessionnel et brillant, il parvient à surmonter sa différence grâce à un père exceptionnel qui comble son mal-être par l'amour. Jusqu'au jour où son père lui est arraché par un banal accident de voiture. Nathan va devoir surmonter ce traumatisme et se réfugie dans les mathématiques. Epaulé par un professeur marginal, le jeune homme va découvrir que sa virtuosité avec les chiffres pourrait lui assurer une place dans l'équipe britannique qui va concourir aux Olympiades Internationales de Mathématiques. C'est ainsi que sa mère, Julie, va le laisser partir pour un stage à Taïwan. Une occasion de se frotter à ses camarades et concurrents mais aussi d'effleurer du bout des doigts ce que c'est que la vie, un monde bien plus complexe et obscur pour Nathan que ne le sont les équations. 


Ce qui est bien 

- Le film évite toute forme de pathos ou de regard trop médical sur l'autisme. Il s'agit de rentrer dans le monde de Nathan grâce à des jeux de déformation, de lumières et de couleurs. On arrive finalement à voir par ses yeux un monde plein de motifs et de nuances.
- Asa Butterfield est particulièrement troublant dans ce rôle et parvient à faire ressortir le mal-être de son personnage. Accentué par une caméra qui se tient au plus près de l'acteur et qui filme souvent en gros plan, ou en biais, on saisit à plusieurs reprises dans des moments de grâce la beauté de cet anti-héros. Il y a d'ailleurs de très belles scènes où il se promène dans taïwan, agrémentées d'une BO excellente. 
- Enfin le film arrive à un constat humaniste sur la différence, le handicap et surtout l'amour, l'équation la plus complexe que Nathan va chercher à résoudre. Comme pour montrer qu'on est tous l'autiste de quelqu'un, le scénario fait cohabiter des personnages aussi différents que beaux qu'il serait dommage de désigner par des étiquettes : malade, handicapé, inadapté socialement, intelligent, surdoué. Le plus important c'est finalement qu'ils parviennent à rendre l'amour qu'on leur porte comme le dira Sally Hawkins dans une scène d'une grande poèsie.

Ce qui est décevant 

- Alors que le scénario part à contre-courant de ce qui est attendu, il évolue vers la facilité dans le dénouement jusqu'à un revirement de situation très attendu et inutile. 
- On regrettera également qu'il ne se focalise pas plus sur les personnages secondaires qu'on a envie de voir plus présents à l'écran. 


On va le voir si 

On aime les films britanniques colorés et sucrés plein de bons sentiments avec de beaux et attachants personnages (en plus c'est adapté d'une histoire vraie !). 

On passe son chemin si

On aime pas quand ça dégouline de guimauve et on préfère les thrillers aux films familiaux tendres. 

Je lui mets 3 Spocks sur 5.





mercredi 10 juin 2015

Vite fait, bien fait #1 YMMA

J'inaugure un nouveau format d'article sur ce blog, plus court que les précédents sur les films que je n'ai pas forcément envie de chroniquer longuement. Du coup ça s'appelle le Vite fait, bien fait et ça commence tout de suite avec le premier film de Rachid El Ouali : Ymma.


Qui c'est quoi, comment, où?
Production marocaine (avec quelques capitaux français si je ne m'abuse).
Un film de Rachid El Ouali.
Avec Rachid El Ouali (et la participation de Marc Samuel).
Sortie le 3 juin 2015

Le pitch
Boujemaa a 40 ans, il vit à Casablanca avec pour seule compagnie un hamster qui vit la nuit et dort le jour. Dans la vie, Boujemaa travaille dans la publicité, il n'a pas de femme et sa créativité est en train de s'étioler. C'est alors qu'il décide de se rendre dans la maison de son enfance pour assister au mariage (arrangé) de sa soeur. Sa mère vit recluse dans sa chambre et son père s'est remarié à une jeune fille. Boujemaa décide de claquer la porte à ce monde-là qu'il a réussit à fuir grâce à ses études. Ses pérégrinations le conduiront jusqu'en Corse à la recherche de son âme soeur.



Ce qui est décevant 
- Qui dit premier film, dit souvent maladresses et erreurs dans la réalisation, erreurs que l'on pardonne bien souvent car on est touché par la jeunesse du réalisateur. Le problème c'est qu'ici, Rachid El Ouali tombe dans presque tous les pièges du premier film et c'est un peu fatiguant.
- Côté scénario, on a l'impression de voir un film à sketchs, comme si chaque scène était reliée à une autre par un prétexte.
- Enfin ce qui aurait pu être un point fort du film, c'est la galerie de personnages qu'il met en scène et qui sont tous très attachants. Mais certaines rencontres sont superficielles, elles n'ont aucun intérêt dramatique et sont tournées de façon incohérente.

Ce qui est bien
- Le film est rattrapé de justesse par sa sincérité et la tendresse de son réalisateur.
- La réflexion menée sur la femme ou plutôt sur la mère est des plus intéressantes, (rappelons que Ymma signifie "Maman"). En choisissant des avatars tous différents de mère, le réalisateur signe une déclaration d'amour à la femme, sans ne jamais la blâmer.



On va le voir si 
- On aime les jolis films tendres plein de bons sentiments et d'où l'on sort le sourire aux lèvres.

On passe son chemin si
On est adepte des scénarios de type blockbuster ou des films d'auteurs à la Tarkovski parce qu'on risque franchement de s'ennuyer...

Le verdict

Je lui mets 2 Spock/5



vendredi 5 juin 2015

La loi du marché - Stéphane Brizé




Si vous avez lu mon mon post récapitulatif sur le festival de Cannes, vous devez déjà savoir que La loi du marché est l'un des films qui sort du lot parmi toutes les déceptions et les propositions ratées de la sélection officielle. L'autre raison qui me pousse à écrire un article plus détaillé, c'est que je n'arrête pas de lire de très mauvaises critiques d'internautes, déplorant un mauvais film que seule l’interprétation de Lindon sauverait. Je considère que tous ces jugements sont assez sévères, voire inappropriés par moments puisqu'ils refusent de prendre en compte la subtilité du filmage de Brizé, et la finesse de son propos. Ceci étant dit je ne prétends absolument pas avoir la science infuse mais quand on parle de cinéma, il faut parfois dépasser un peu le simple jugement subjectif pour chercher à voir les qualités et les défauts d'un film, formulés de façon moins contestable que le simple "c'est pas bien", "je n'aime pas".

La première raison pour laquelle le film de Brizé m'a surprise, c'est que la sélection officielle de cette année était plus dans la féerie, la magie, l'illusion que dans le social et il a fait son petit effet lors des premières projection. Ensuite, je voudrais souligner la qualité de la réalisation qui est esthétiquement très intéressante, mais j'y reviendrai plus tard. Pour ceux qui n'ont pas vu le film le pitch est plutôt simple : Thierry, la cinquantaine est sans-emploi. Après avoir navigué de stages en petits boulots, il finit par devenir vigile dans une grande surface; son travaille consistant à surveiller les clients mais aussi les caissières. Plus largement, c'est une chronique sur le désespoir des classes moyennes (voire très moyennes) françaises et la précarité qu'a engendré la crise. Le sujet ne paraît pas d'un premier abord particulièrement novateur (quoi que, il faut quand même oser baisser un peu le regard pour filmer ces gens simples), mais Brizé réussit à éviter le misérabilisme en filmant l'autre avec respect. Je me rappelle être tombée en DS sur une citation d'Alain Cavalier où il était question de "morale du regard", et de "filmer droit dans les yeux", et je trouve que l'expression est toute à fait appropriée ici. Thierry a dans le film un fils handicapé moteur qui est par ailleurs assez brillant intellectuellement. J'entends dire partout que c'est trop, c'est misérabiliste, c'est dégoulinant, c'est français. Je considère que cette critique est infondée dans la mesure où ce fils handicapé n'est jamais montré de telle sorte qu'on éprouve de la pitié pour lui. Il est au contraire un élément dramatique qui permet à l'histoire de tenir debout. Il renforce la détresse de Thierry dans la mesure où les études de son fils ont un coût, mais il est aussi l'une des raisons de son acharnement. Sans quoi, pourquoi ne pas choisir le suicide? Parce que Thierry a une famille qui aime et qu'il aime. Ceci étant précisé, je voudrais m'attarder sur la réalisation que je trouve magistrale a différents niveaux. Brizé filme en plan serré, souvent caméra à l'épaule avec beaucoup d'instabilité, de précipitation. Le spectateur est au plus près du personnage, parfois si proche qu'il peut en distinguer les grains de la peau. A cela s'ajoutent des ellipses et un montage sec et froid, comme si les événements n'avaient aucune suite logique (on retrouve Thierry vigile alors qu'on l'a quitté à Pôle-Emploi), sans parler des scènes brutes des caméras de surveillance qui donnent l'impression de pions sur un échiquier. Certains plans s’éternisent, on voit des scènes de repas à répétition comme pour surligner cet effet de descente en spirale (d'ailleurs j'ai remarqué que les repas évoluaient : on passe du poulet à la salade de maïs, ce qui ne me semble pas anodin). C'est une véritable spirale infernale qui nous est imposée du début à la fin. Et c'est très étouffant, oppressant, difficile à supporter parce que ces gens sont des monsieur et madame tout le monde, qui ne vivent ni ne font rien d'exceptionnels. Et c'est justement parce qu'au bout d'un moment on finit par manquer d'air, et qu'on attend avec impatience la fin que c'est très réussi. Je ne peux pas bien sûr ne pas parler de l'interprétation de Vincent Lindon, extraordinaire comme toujours dans son jeu toute en retenue et en micro-expressions. Mais je pense que s'il est si bon, c'est en partie grâce au filmage de Brizé. Le personnage mène le film, impulse les mouvements de caméra, les variations de rythme, ce qui fait que c'est encore plus éprouvant puisque nous sommes Thierry. Je reconnais que je n'ai respiré que lors de la dernière scène, qui est très amère quand on y pense, mais également très réussie. Finalement le film montre (au sens de regarder) avec ce filmage en apparence documentaire (mais très étudié) presque factuellement ce que le cinéma ne cherche pas vraiment à regarder d'habitude. Une seule question demeure : si l'homme enchaîne l'homme et si l'argent impose son régime totalitaire, est-il possible que ce soit autrement que comme ça, la vie?

Si je devais néanmoins faire une critique sur ce film et sur sa présence à Cannes cette année; je demanderais quand même s'il peut vraiment être compris au-delà du monde occidental, voire des frontières françaises (le jury nous a montré que oui). Néanmoins, permettez-moi d'être sceptique quant à l'intérêt qu'un Taïwanais, qu'un Cubain, qu'un Nigérien pourrait y trouver. 


jeudi 4 juin 2015


Je suis très heureuse de vous annoncer que je suis sous-admissible au concours de l'ENS Lyon (série Lettres et arts) et que ces deux ans de prépa n'auraient pas pu mieux se terminer !

Bisous à tous les autres khâgneux de France, courage aux admissibles, et à bientôt pour de nouvelles aventures !