jeudi 20 août 2015

Mustang




Mustang est le nom de ces chevaux que nul ne peut maîtriser. Je trouve d'ailleurs révélateur a posteriori que le titre du film soit au singulier, et non au pluriel, comme on aurait pu le supposer au départ. Mustang est le portrait de cette fougue propre aux êtres indomptables.

Véritable sensation de la quinzaine des réalisateurs 2015, Mustang est avant tout un film de filles : cinq héroïnes se partagent l'affiche. Lale et ses quatre soeurs sont turques, belles et indépendantes. Le dernier jour de l'année scolaire, elles s'amusent avec des garçons sur le chemin du retour. Mais ce petit jeu va alors prendre des proportions inattendues: outrés par un comportement qu'ils jugent indécent, les membres de la famille vont prendre des sanctions à l'égard de ces cinq rebelles. La maison se transforme peu à peu en prison pour jeunes filles à marier. 

Mustang pose  en premier lieu la question de la femme et de la fille en Turquie. Sans trop rentrer dans les détails, il faut quand même souligner qu'il s'agit d'un pays historiquement progressiste en matière de droits des femmes : dès les années 30 elles obtiennent le droit de vote, l'IVG y est autorisée jusqu'à la dixième semaine de grossesse. Mais depuis l'arrivée au pouvoir du parti de Recep Tayyip Erdoğan, on constate un retour en force du patriarcat lié à des mesures gouvernementales. La réalisatrice souligne à ce titre le retour des écoles religieuses pour mieux "encadrer" la société et mettre fin à une trop grande liberté intellectuelle de la population. Finalement la femme est tiraillée entre deux extrêmes : sur le papier elle a des droits, est libre et émancipée, mais au sein même de la société elle reste soumise au masculin. C'est d'autant plus intéressant que la Turquie est finalement un pays dont on parle assez peu et qui est plus ou moins absent du paysage cinématographique. On se souvient de l'excellent Wajda dans le même genre, qui posait la question de la féminité en Arabie Saoudite, ou encore de Hors-Jeu de Jafar Panahi sur l'écrasement de la jeune fille en Iran. D'ailleurs cet état de fait est l'un des premiers arguments présentés par les pays d'Europe de l'ouest pour s'opposer à l'entrée du pays dans l'UE, quoi que le gouvernement voudrait nous faire croire qu'il n'en est rien. Dans une inteview pour Les Inrocks, Deniz Gamze Ergüven déclarait d'ailleurs "Je voulais raconter ce que cela représente d’être une femme aujourd’hui en Turquie, dit la réalisatrice. Le pays a toujours été partagé entre deux courants, l’un progressiste, l’autre rétrograde, mais depuis quelques années le second s’impose. Chaque semaine, des types de l’AKP font des déclarations odieuses sur les femmes, qui contribuent à polluer les esprits. Ils nous obligent à nous cacher, à nous taire, à avoir honte." On peut donc parler à propos de Mustang d'une certaine urgence de cinéma; une envie de dire au monde quelque chose. Très vite, le film va se concentrer sur la maison et sa transformation progressive. Les filles ne verront bientôt plus le monde du dehors autrement qu'à travers les barreaux de leur prison. Il y a l'idée que l'enfermement de ces jeunes filles a quelque chose de contre-nature (au sens d'aller à l'encontre de l'ordre normal des choses) comme le montre leurs tentatives parfois désespérées de s'échapper. Pourtant, il n'y a parmi elles qu'un seul véritable Mustang : Lale, la petite dernière qui luttera jusqu'au bout pour sa liberté.



Il y a chez Deniz Gamze Ergüven un sens du cadre qui frise la perfection : jamais un centimètre à côté, la caméra est toujours à sa place. Beaucoup de plans serrés nous font entrer dans l'intimité de cette bande de filles au caractère bien trempé, qui ressemble à bien des égards à celle que Sofia Coppola avait mis en scène dans The Virgin Suicides. Misant sur la légèreté, Mustang n'est pas à proprement parler un drame puisqu'on y trouve à plusieurs reprises des scènes de comédie, comme ce moment assez croustillant où les filles se rendent à un match de football. Il faut aussi parler de cette luminosité toute particulière qui éclaire le film, dans des tons doux-amer. Deniz Gamze Ergüven magnifie la femme, même lorsqu'elle se soumet. Et il y a surtout Günes Nezihe Sensoy qui interprète la jeune Lale et qui porte véritablement le film, du haut de ses 1 mètre 50. Rebelle, insaisissable, fougueuse mais surtout indomptable.

Là où le bât blesse un peu, c'est qu'emportée par ses désirs et ses espoirs, la réalisatrice finit par perdre de vue le point de vue réaliste auquel elle s'était si bien tenue au début du film. Le dernier quart d'heure est rocambolesque, on se croirait presque dans un film d'aventures où le héros s'en sort toujours. Il aurait peut-être mieux fallu terminer sur une note d'espoir plus mitigée, plutôt que sur cet élan d'héroïsme un peu bancal auquel on ne croit sans grande conviction.

Mais on ne saurait trop s'acharner sur Mustang tant on a envie d'y croire. Une nouvelle preuve que le cinéma n'est pas qu'une affaire d'hommes et j'espère que l'on reverra le nom Deniz Gamze Ergüven à l'avenir !




lundi 17 août 2015

Respirez c'est déjà trop tard

J'ai presque envie de dire qu'il ne faut rien lire, ni voir sur le film avant de l'avoir vu.



Je ne sais pas si on est tout de suite autorisé à dire qu'un film est un chef-d'oeuvre. Il faut souvent laisser le temps nous dire si la postérité l'accepte dans son panthéon avant de s'enflammer pour une brindille. Je m'enflamme rarement ces temps-ci dans les salles obscures. Je suis souvent déçue quand on promet beaucoup de choses sur le papier et que finalement je vois un scénario vu et revu, et des images sur faites. Alors forcément à la moindre étincelle, c'est souvent l'explosion de joie. Le temps a travaillé depuis un mois pour savoir ce que je retenais du dernier film d'Alexander Kott. 

Il faut commencer par remarque qu'il y a peu de films de l'est qui nous parviennent. Je me rappelle du très bon Léviathan qui avait fait un carton au festival de Cannes de l'an passé. Avant, c'est un peu le néant. Bien sûr il faut citer Tarkovski, les cinéastes soviétiques ou même encore les polonais comme Kieslowski qui ont une sensibilité si particulière; j'ai presque envie de dire une sensibilité slave. Les films de l'est nous apprennent bien souvent à écouter; à écouter et à respirer. Souvent construit sur des systèmes de pensée différent de nos schémas occidentaux, j'ai toujours l'impression que le cinéma slave nous propose d'être un autre cerveau pendant quelques heures, histoire de s'oublier un peu pour se "mettre à la place". Je ne sais pas si on peut véritablement penser comme un autre. Il est certain qu'il y aura toujours une barrière culturelle entre nous et cet autre système (quoique l'occidentalisation effrayante de la société tend à effacer cette frontière). Mais tout de même, c'est un peu comme voyager dans un autre cerveau le temps d'un film.



Je n'ai jamais autant pu apprécier le temps qu'en regardant Le Souffle. D'ailleurs Le Souffle porte bien son nom, il y a des traces de l'animus des latins dans ce film d'1h30, romance sans parole au beau milieu du paysage kazakhe. Certes, les personnages de Kott ne parlent pas, mais ils en disent déjà beaucoup par leur regard, et par leurs silences. Filmé au plus près, le visage anxieux de la belle Elena Ann est particulièrement révélateur de l'incertitude de ce monde en train de disparaître. J'ai tendance, comme tout le monde, à associer l'âme russe à ce tableau de Malévitch où l'on voit la cavalerie rouge se détacher au loin. Ce qui m'a toujours frappée dans ce tableau c'est la taille des chevaux par rapport à l'horizon. De tous petits chevaux minuscules littéralement écrasés entre la terre et le ciel. Le Souffle a quelque chose de Malévitch dans la façon dont il remet l'homme à sa place : quatre vies humaines dans cette immensité désertique. Mais la nature est loin d'être hostile, bien au contraire; le mal vient de la ville et de l'homme civilisé qui apportent avec eux le chaos et la destruction.

Il y aurait beaucoup à dire de ces quatre personnages mis en scène par Kott : le père de famille rustre, la jeune ingénue, le garçon de la campagne et l'étranger. Et encore que non, ce découpage me paraît beaucoup trop occidental. Ces quatre anti-héros nous apparaissent comme des ombres vacillantes et incertaines. Je me suis d'ailleurs longtemps demandé si ce jeune homme qui marche sur les mains existe ailleurs que dans l'imaginaire de la jeune fille. Je me le demande encore, quoique ça n'ait pas beaucoup d'importance. Le cœur du film est dans les clefs disséminées par le réalisateur pour nous conduire à la catastrophe finale. Des événements imprévus, la nature qui meurt à petit feu et l'innocence de la jeunesse qui suit son cours. Après avoir respiré à pleins poumons pendant 1h20, voilà que sans nous y attendre nous nous retrouvons le souffle court, une étrange boule au creux de la gorge. Car ce drame qui se joue sous nos yeux est beaucoup plus complexe que ce qui apparaissait au départ. Beaucoup plus ignoble aussi. Et beaucoup trop vrai.


L'histoire nous dira si le film de Kott est un chef-d'oeuvre. Je le place pour ma part en bonne position dans mon panthéon personnel, aux côtés des plus grands, en remerciement de cette extraordinaire expérience de cinéma. 





dimanche 5 juillet 2015

Smile of Sunday #1




Faute de pondre un chouette article sur Vice-Versa, je mets Riley à l'honneur en ce dimanche puisqu'elle est mon premier sourire du dimanche (rendez-vous qui je l'espère sera reconduit tous les dimanches). C'est un peu difficile de trouver une forme pour la chronique du dernier pixar puisque je voudrais qu'elle soit aussi exaltante que le film, et c'est pas gagné. Mais je ne désespère pas... 

jeudi 25 juin 2015

La tête haute - Emmanuelle Bercot

Quand les bons sentiments sont de mise




(le dernier paragraphe de cet article dévoile quelques éléments de l'intrigue)

Emmanuelle Bercot, c'est la tendance du moment. Belle, indépendante, femme, actrice, réalisatrice, réalisactrice du cinéma d'aujourd'hui comme probablement du cinéma de demain; sa présence en ouverture du festival de Cannes ne fait que confirmer une certaine notoriété et reconnaissance dans ce milieu éminemment masculin. Madame Emmanuelle Bercot. Pourtant Emmanuelle Bercot ce n'est pas un cinéma strictement féminin. Elle a su comme sa comparse Maïwenn porter un regard sur le monde. Un regard différent parce qu'elles n'oublient pas qu'elles sont femmes qui ne déclare pas la guerre au monde masculin, qui s'y confronte, qui cherche à s'imposer délicatement, avec subtilité. C'est peut-être ça être féministe en 2015. 

Emmanuelle Bercot a donc plus que jamais la tête haute et le regard fier. Mise à l'honneur à deux reprises à Cannes lors de la cérémonie d'ouverture puis sacrée lors de la clôture, elle est indéniablement devenue une des Françaises du moment. La Tête haute avait d'ailleurs tout pour être un succès (c'est-à-dire sortir du catimini des films art & essai français traditionnel) : beau casting, scénario intriguant, belle réalisation, publicité de Cannes etc. Ce que j'aime chez Emmanuelle Bercot c'est quelle est une artiste. Le film est bourré de panoramiques très audacieux que j'ai rarement vu au cinéma et que je trouve aussi vertigineux que magnifiques. Et puis il y a la musique. A contre-courant, discrète, étrange, puissante, elle ne tombe pas dans le cliché de la musique de banlieue pour parler des jeunes des banlieues. J'ai presque envie de dire qu'elle donne une universalité à ce film, et à ces personnages; comme une manière de dire que la déroute de Malony c'est un peu la déroute de nous tous, citoyens du 21e siècle perdus entre les billets de banque, la violence, la mort. Parce que La Tête haute, c'est avant l'histoire d'une jeunesse : celle de Malony qui fait les 400 coups parce qu'on ne lui a pas appris comment vivre. Mal aimé par une mère encore adolescente, pas tout à fait mère, Malony cherche ce que c'est que la vie; ce que c'est que l'amour aussi, sans être bien sûr de pouvoir accepter d'être aimé. S'il y a une actrice qui tire bien son épingle du jeu c'est sans doute Sara Forestier, sublime, perdue, touchante, excessive. Mais La Tête haute c'est surtout Catherine Deneuve si autoritaire derrière son bureau de juge. Une cinéaste femme pour un cinéma de femme. Non pas un cinéma féministe, mais un film qui magnifie le sexe féminin, sa virilité comme sa féminité, sa beauté aussi, mais surtout sa force de caractère, la façon si singulière qu'elles ont toutes d'êtres des êtres humains. Parce que c'est peut-être ça finalement le thème du cinéma d'Emmanuelle Bercot : les êtres humains. Et par moment c'est presque aussi vertigineux que les panoramiques filés qu'elles s'amusent à faire tourner autour de Malony. Mais indéniablement c'est aussi beau que les violons qui accompagnent souvent le personnage principal, aussi beau que les écorchés vifs, aussi beau que la vie.

Alors pourquoi le film est-il malgré tout si décevant? Le problème d'Emmanuelle Bercot (et de Marcia Romano, sa scénariste) c'est qu'elle(s) croi(en)t en la vie. Je crois aussi beaucoup en la vie. Mais je ne me paie pas le luxe d'être idéaliste. Je ne me permets pas d'être aveuglée par un optimisme qui ne serait pas de rigueur. Il y a un moment où le film nous perd, se met à tourner sur lui-même jusqu'à décoller et quitter la terre ferme pour s'enfoncer dans une réflexion simpliste. Malony, le voyou aux yeux bleus va être sauvé par la grande juge, incarnation presque sans faille de notre belle république. Comme si ce n'était pas assez, on appuie le propos en terminant le film par un plan sur un drapeau républicain flottant au-dessus d'un tribunal. On se croirait presque dans un film de propagande des années 40/50. Je me suis longtemps demandé si la fin était vraiment positive : le héros, qui n'a même pas 20 ans, est père d'un enfant, la mère n'ayant elle non plus même pas 20 ans. Ils n'ont pas de travail, ils n'ont pas fini leurs études et leur seul soutien est la mère de la mère, seule adulte responsable dans les parages. Alors non, ça ne finit pas vraiment bien parce que la rédemption sera lourde de conséquence. Malony n'est pas "sauvé" par la République, il est sauvé par la vie lui donnant l'occasion de dépenser son énergie sur un autre être. Soit, pourquoi pas. Je n'y crois pas mais pourquoi pas. Cependant, comment expliquer qu'un peu plus tôt, alors que le jeune homme a précipité son petit frère dans un terrible accident de voiture (la voiture s'est retournée sur elle-même à plusieurs reprises), n'étant pas attachés tous les deux, ils s'en sortent indemnes? Un miracle, je ne vois pas d'autre explication. Enfin n'oublions pas que Malony a été sauvé par un éducateur d'exception (Benoît Magimel), lui-même ex-délinquant sorti des ténèbres par la juge-sainte-Catherine-Deneuve. Un peu plus de guimauve et le scénario aurait été parfait pour un épisode de Famille d'accueil. C'est dommage parce qu'il y a des enjeux dans toute cette histoire, des pistes sur lesquelles le scénario nous entraîne en les laissant finalement sur le bord de la route. La question de la place de l'enfant dans le justice française par exemple : est-ce que le système est parfait? Oui, Malony a trouvé juge à son pied, mais non cette femme d'exception part à la retraite. Il est lui-même confronté avec d'autres jeunes aux suivis moins personnalisés : que conclure? Que les autres juges ne font pas leur travail? Que le système ne leur permet pas de le faire? C'est assez confus. Trop confus. A l'issue du film, la réalisatrice a annoncé son désir de devenir à son tour juge pour enfant. On se demande si ce désir de changer les choses n'a pas trop empiété sur la volonté d'être proche de la réalité. Est-ce que l'espoir n'a pas indirectement perverti le portrait de la société? Ce film qui avait tout d'un portrait social d'une jeunesse se termine finalement comme une sorte de mélo qui force les émotions. Et c'est décevant.

La qualité et la sensibilité de la réalisation m'empêchent de trop faire descendre la note c'est pourquoi je lui donne 3/5

   

mercredi 24 juin 2015

Vite fait, bien fait #2 Le monde de Nathan (X+Y)


Qui c'est quoi, comment, où?

Petit film britannique comme on les aime, produit par la BBC (donc forcément ça ne peut pas être complètement mauvais)
La réalisation est signée Morgan Matthews, réalisateur de documentaires pendant plus de 10 ans, quasi ignoré en France. 
On y retrouve le génial Asa Butterfield (Hugo Cabret, Le garçon au pyjama rayé...) qui a bien grandit et ça lui va comme un gant, ainsi que Sally Hawkins (Blue Jasmine, Never let me go...), Eddie Marsan (Une belle fin, Sherlock Holmes...) et Rafe Spall (Un jour, Anonymous, L'Odyssée de Pi...).
Sortie le 10 juin 2015. 


Le pitch

Nathan présente dès son plus jeune âge des troubles autistiques qui le replie sur lui-même. Obsessionnel et brillant, il parvient à surmonter sa différence grâce à un père exceptionnel qui comble son mal-être par l'amour. Jusqu'au jour où son père lui est arraché par un banal accident de voiture. Nathan va devoir surmonter ce traumatisme et se réfugie dans les mathématiques. Epaulé par un professeur marginal, le jeune homme va découvrir que sa virtuosité avec les chiffres pourrait lui assurer une place dans l'équipe britannique qui va concourir aux Olympiades Internationales de Mathématiques. C'est ainsi que sa mère, Julie, va le laisser partir pour un stage à Taïwan. Une occasion de se frotter à ses camarades et concurrents mais aussi d'effleurer du bout des doigts ce que c'est que la vie, un monde bien plus complexe et obscur pour Nathan que ne le sont les équations. 


Ce qui est bien 

- Le film évite toute forme de pathos ou de regard trop médical sur l'autisme. Il s'agit de rentrer dans le monde de Nathan grâce à des jeux de déformation, de lumières et de couleurs. On arrive finalement à voir par ses yeux un monde plein de motifs et de nuances.
- Asa Butterfield est particulièrement troublant dans ce rôle et parvient à faire ressortir le mal-être de son personnage. Accentué par une caméra qui se tient au plus près de l'acteur et qui filme souvent en gros plan, ou en biais, on saisit à plusieurs reprises dans des moments de grâce la beauté de cet anti-héros. Il y a d'ailleurs de très belles scènes où il se promène dans taïwan, agrémentées d'une BO excellente. 
- Enfin le film arrive à un constat humaniste sur la différence, le handicap et surtout l'amour, l'équation la plus complexe que Nathan va chercher à résoudre. Comme pour montrer qu'on est tous l'autiste de quelqu'un, le scénario fait cohabiter des personnages aussi différents que beaux qu'il serait dommage de désigner par des étiquettes : malade, handicapé, inadapté socialement, intelligent, surdoué. Le plus important c'est finalement qu'ils parviennent à rendre l'amour qu'on leur porte comme le dira Sally Hawkins dans une scène d'une grande poèsie.

Ce qui est décevant 

- Alors que le scénario part à contre-courant de ce qui est attendu, il évolue vers la facilité dans le dénouement jusqu'à un revirement de situation très attendu et inutile. 
- On regrettera également qu'il ne se focalise pas plus sur les personnages secondaires qu'on a envie de voir plus présents à l'écran. 


On va le voir si 

On aime les films britanniques colorés et sucrés plein de bons sentiments avec de beaux et attachants personnages (en plus c'est adapté d'une histoire vraie !). 

On passe son chemin si

On aime pas quand ça dégouline de guimauve et on préfère les thrillers aux films familiaux tendres. 

Je lui mets 3 Spocks sur 5.





mercredi 10 juin 2015

Vite fait, bien fait #1 YMMA

J'inaugure un nouveau format d'article sur ce blog, plus court que les précédents sur les films que je n'ai pas forcément envie de chroniquer longuement. Du coup ça s'appelle le Vite fait, bien fait et ça commence tout de suite avec le premier film de Rachid El Ouali : Ymma.


Qui c'est quoi, comment, où?
Production marocaine (avec quelques capitaux français si je ne m'abuse).
Un film de Rachid El Ouali.
Avec Rachid El Ouali (et la participation de Marc Samuel).
Sortie le 3 juin 2015

Le pitch
Boujemaa a 40 ans, il vit à Casablanca avec pour seule compagnie un hamster qui vit la nuit et dort le jour. Dans la vie, Boujemaa travaille dans la publicité, il n'a pas de femme et sa créativité est en train de s'étioler. C'est alors qu'il décide de se rendre dans la maison de son enfance pour assister au mariage (arrangé) de sa soeur. Sa mère vit recluse dans sa chambre et son père s'est remarié à une jeune fille. Boujemaa décide de claquer la porte à ce monde-là qu'il a réussit à fuir grâce à ses études. Ses pérégrinations le conduiront jusqu'en Corse à la recherche de son âme soeur.



Ce qui est décevant 
- Qui dit premier film, dit souvent maladresses et erreurs dans la réalisation, erreurs que l'on pardonne bien souvent car on est touché par la jeunesse du réalisateur. Le problème c'est qu'ici, Rachid El Ouali tombe dans presque tous les pièges du premier film et c'est un peu fatiguant.
- Côté scénario, on a l'impression de voir un film à sketchs, comme si chaque scène était reliée à une autre par un prétexte.
- Enfin ce qui aurait pu être un point fort du film, c'est la galerie de personnages qu'il met en scène et qui sont tous très attachants. Mais certaines rencontres sont superficielles, elles n'ont aucun intérêt dramatique et sont tournées de façon incohérente.

Ce qui est bien
- Le film est rattrapé de justesse par sa sincérité et la tendresse de son réalisateur.
- La réflexion menée sur la femme ou plutôt sur la mère est des plus intéressantes, (rappelons que Ymma signifie "Maman"). En choisissant des avatars tous différents de mère, le réalisateur signe une déclaration d'amour à la femme, sans ne jamais la blâmer.



On va le voir si 
- On aime les jolis films tendres plein de bons sentiments et d'où l'on sort le sourire aux lèvres.

On passe son chemin si
On est adepte des scénarios de type blockbuster ou des films d'auteurs à la Tarkovski parce qu'on risque franchement de s'ennuyer...

Le verdict

Je lui mets 2 Spock/5



vendredi 5 juin 2015

La loi du marché - Stéphane Brizé




Si vous avez lu mon mon post récapitulatif sur le festival de Cannes, vous devez déjà savoir que La loi du marché est l'un des films qui sort du lot parmi toutes les déceptions et les propositions ratées de la sélection officielle. L'autre raison qui me pousse à écrire un article plus détaillé, c'est que je n'arrête pas de lire de très mauvaises critiques d'internautes, déplorant un mauvais film que seule l’interprétation de Lindon sauverait. Je considère que tous ces jugements sont assez sévères, voire inappropriés par moments puisqu'ils refusent de prendre en compte la subtilité du filmage de Brizé, et la finesse de son propos. Ceci étant dit je ne prétends absolument pas avoir la science infuse mais quand on parle de cinéma, il faut parfois dépasser un peu le simple jugement subjectif pour chercher à voir les qualités et les défauts d'un film, formulés de façon moins contestable que le simple "c'est pas bien", "je n'aime pas".

La première raison pour laquelle le film de Brizé m'a surprise, c'est que la sélection officielle de cette année était plus dans la féerie, la magie, l'illusion que dans le social et il a fait son petit effet lors des premières projection. Ensuite, je voudrais souligner la qualité de la réalisation qui est esthétiquement très intéressante, mais j'y reviendrai plus tard. Pour ceux qui n'ont pas vu le film le pitch est plutôt simple : Thierry, la cinquantaine est sans-emploi. Après avoir navigué de stages en petits boulots, il finit par devenir vigile dans une grande surface; son travaille consistant à surveiller les clients mais aussi les caissières. Plus largement, c'est une chronique sur le désespoir des classes moyennes (voire très moyennes) françaises et la précarité qu'a engendré la crise. Le sujet ne paraît pas d'un premier abord particulièrement novateur (quoi que, il faut quand même oser baisser un peu le regard pour filmer ces gens simples), mais Brizé réussit à éviter le misérabilisme en filmant l'autre avec respect. Je me rappelle être tombée en DS sur une citation d'Alain Cavalier où il était question de "morale du regard", et de "filmer droit dans les yeux", et je trouve que l'expression est toute à fait appropriée ici. Thierry a dans le film un fils handicapé moteur qui est par ailleurs assez brillant intellectuellement. J'entends dire partout que c'est trop, c'est misérabiliste, c'est dégoulinant, c'est français. Je considère que cette critique est infondée dans la mesure où ce fils handicapé n'est jamais montré de telle sorte qu'on éprouve de la pitié pour lui. Il est au contraire un élément dramatique qui permet à l'histoire de tenir debout. Il renforce la détresse de Thierry dans la mesure où les études de son fils ont un coût, mais il est aussi l'une des raisons de son acharnement. Sans quoi, pourquoi ne pas choisir le suicide? Parce que Thierry a une famille qui aime et qu'il aime. Ceci étant précisé, je voudrais m'attarder sur la réalisation que je trouve magistrale a différents niveaux. Brizé filme en plan serré, souvent caméra à l'épaule avec beaucoup d'instabilité, de précipitation. Le spectateur est au plus près du personnage, parfois si proche qu'il peut en distinguer les grains de la peau. A cela s'ajoutent des ellipses et un montage sec et froid, comme si les événements n'avaient aucune suite logique (on retrouve Thierry vigile alors qu'on l'a quitté à Pôle-Emploi), sans parler des scènes brutes des caméras de surveillance qui donnent l'impression de pions sur un échiquier. Certains plans s’éternisent, on voit des scènes de repas à répétition comme pour surligner cet effet de descente en spirale (d'ailleurs j'ai remarqué que les repas évoluaient : on passe du poulet à la salade de maïs, ce qui ne me semble pas anodin). C'est une véritable spirale infernale qui nous est imposée du début à la fin. Et c'est très étouffant, oppressant, difficile à supporter parce que ces gens sont des monsieur et madame tout le monde, qui ne vivent ni ne font rien d'exceptionnels. Et c'est justement parce qu'au bout d'un moment on finit par manquer d'air, et qu'on attend avec impatience la fin que c'est très réussi. Je ne peux pas bien sûr ne pas parler de l'interprétation de Vincent Lindon, extraordinaire comme toujours dans son jeu toute en retenue et en micro-expressions. Mais je pense que s'il est si bon, c'est en partie grâce au filmage de Brizé. Le personnage mène le film, impulse les mouvements de caméra, les variations de rythme, ce qui fait que c'est encore plus éprouvant puisque nous sommes Thierry. Je reconnais que je n'ai respiré que lors de la dernière scène, qui est très amère quand on y pense, mais également très réussie. Finalement le film montre (au sens de regarder) avec ce filmage en apparence documentaire (mais très étudié) presque factuellement ce que le cinéma ne cherche pas vraiment à regarder d'habitude. Une seule question demeure : si l'homme enchaîne l'homme et si l'argent impose son régime totalitaire, est-il possible que ce soit autrement que comme ça, la vie?

Si je devais néanmoins faire une critique sur ce film et sur sa présence à Cannes cette année; je demanderais quand même s'il peut vraiment être compris au-delà du monde occidental, voire des frontières françaises (le jury nous a montré que oui). Néanmoins, permettez-moi d'être sceptique quant à l'intérêt qu'un Taïwanais, qu'un Cubain, qu'un Nigérien pourrait y trouver.